Dans son rapport sur le dialogue social, Jean-Denis Combrexelle préconise de décentraliser la négociation au niveau des branches et des entreprises pour mieux coller aux réalités économiques. Un vrai défi.
Ramener au plus près du terrain le lieu de production de la norme sociale… Voilà en substance ce que préconise Jean-Denis Combrexelle dans le rapport qu’il a remis ce mercredi 9 septembre à Manuel Valls. Une question de bon sens, finalement : dans un contexte économique très difficile, donner des latitudes aux partenaires sociaux pour négocier, dans les branches et les entreprises, les règles les plus adaptées apparaît comme une solution pragmatique.
Sauf que cette possibilité existe déjà. Depuis la loi Fillon de 2004, les entreprises peuvent en effet déroger – y compris dans un sens moins favorable – à un accord de niveau supérieur. Sauf si celui-ci l’interdit, et à l’exclusion de quatre domaines (salaires minima, classifications, formation professionnelle, protection sociale complémentaire). « La France est l’un des pays qui, en droit, a le plus renvoyé à la négociation collective. L’idée que le code du travail régit tout est fausse », explique l'ancien directeur général du travail.
Immense pari
D'après les chiffres du ministère du Travail, 951 accords de branche et 36500 accords d’entreprise ont été signés en 2014. Preuve que le dialogue et la négociation sont vivaces. Mais le résultat manque souvent d'audace. Pour preuve, à peine une dizaine d’accords de maintien de l’emploi ont vu le jour, alors même que le dispositif était réclamé par le patronat. De même, peu d’employeurs ont utilisé les ressorts de la loi de 2008 pour revoir leur contingent d’heures supplémentaires. « Le manque de dynamisme de la négociation collective relève du jeu des acteurs », conclut le rapporteur.
Faut-il, dans ces conditions, laisser le champ libre à la branche et en faire « le guide du secteur » ? C'est en tout cas l'immense pari du président de la section sociale du Conseil d’Etat. Dans la foulée de l'ouvrage de Gilbert Cette et Jacques Barthélémy, il considère à son tour que c’est en étoffant le rôle des partenaires sociaux que ceux-ci dépasseront leurs clivages. Et s’investiront davantage.
Si ses préconisations sont suivies, les branches et les entreprises pourraient ainsi œuvrer dans quatre domaines : les conditions de travail, le temps de travail, l’emploi et les salaires. Plus précisément, le code du travail se bornerait à établir de grands principes ; les branches, elles, fixeraient non seulement des règles supplétives en cas d’absence d'accords dans les entreprises mais conseilleraient aussi les TPE et piloteraient une réelle gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Quant aux entreprises, elles seraient "au centre de tout", ayant tout loisir pour définir leurs propres normes, qu'elles soient plus favorables ou non.
Intérêts financiers
Cette révolution impose de faire un grand ménage parmi les 750 branches. Un très grand nombre sont en effet inactives, et leurs acteurs bien incapables de définir des normes sociales sur des sujets ardus. Le chantier a certes déjà commencé : 37 vont être fusionnées cette année. Mais l'essentiel du chemin reste à faire pour se rapprocher de l'Allemagne, qui compte une quinzaine de secteurs conventionnels ! La structuration française est « inefficace socialement et économiquement », souligne ainsi Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie.
Le projet de loi que la nouvelle ministre du Travail, Myriam El Khomri, va être chargée de rédiger d’ici début 2016 proposera de fusionner celles qui comptent moins de 5000 salariés. Un bon début. Mais un défi, tant les intérêts financiers et politiques en jeu sont importants, notamment du côté des syndicats d'employeurs. Autre écueil, la réforme de la représentativité patronale, qui risque de freiner les ardeurs et d'attiser les conservatismes…