L’accord minoritaire sur le travail dominical et en soirée, signé le 5 juillet, est caduc suite au droit d’opposition de la CGT, SUD et de FO. Mais le rapport de force syndical va être bouleversé par le rachat de Darty par la Fnac. Dans le nouvel ensemble, les syndicats majoritaires deviendront minoritaires.
Le groupe Fnac (14.500 salariés) n’ouvrira pas dimanche 28 août ses magasins situés en zones touristiques internationales (ZTI), comme il l'avait annoncé. Les affichettes avertissant les salariés de la signature, le 5 juillet, de l’accord « sur le travail dominical et en soirée » par la CFTC, la CFDT et CFE-CGC et les appelant au volontariat, ont été enlevées. Les trois autres syndicats présents chez l’ « agitateur culturel », la CGT, SUD et FO, majoritaires à eux trois, ont fait valoir leur droit d’opposition à ce texte, négocié à l’automne 2015 et conclu tout début 2016. A ce titre, il ne peut être appliqué.
Ceux qui ont pu en douter avaient manqué un épisode. Dès janvier, les trois syndicats avaient rendu publique leur intention de mettre un véto à l’accord de 39 pages, alors qualifié par la CGT, premier syndicat du groupe, de « régression sociale ». Bien qu’il soit l’un des plus avantageux signés dans les grandes enseignes. Le groupe dirigé par Alexandre Bompard n’a pas lésiné sur les compensations financières, accordant un paiement triple de certaines heures travaillées, à l’image de Sephora.
« Une occasion manquée » d’harmoniser les pratiques
Si le distributeur de parfums l’a fait très largement (toute heure travaillée le dimanche, et de 21h à 24h, est majorée à 200%), l’enseigne culturelle a été plus regardante. Dans les Fnac ouvertes régulièrement le dimanche, 12 dimanches devaient être majorés à 200% (payés triple) et 40 dimanches majorés à 100% (payés double). Pour les sites ouverts occasionnellement, l'accord prévoyait une majoration de 100% avec repos compensateur, comme prévu par la loi pour les dimanches dits « du maire ». Par contre, toute heure travaillée entre 21h et 24h devait être rémunérée double, comme chez Sephora.
« Cet accord offrait des contreparties salariales plus importantes que celles accordées dans les établissements déjà ouverts le dimanche. Il permettait d’harmoniser, par le haut, les pratiques existantes dans les différentes sociétés du groupe », commente Pascale Morel, déléguée syndicale CFDT (14% des suffrages), qui dénonce une « occasion manquée ». A la Fnac de la Défense, ouvert 7/7 depuis son classement en zone touristique en 2009, les dimanches travaillés sont déjà payés à 200%. Et de déplorer un droit d’opposition « qui ne prend pas en compte la réalité du travail dominical à la Fnac ». Selon la CFDT, 50% des salariés en Ile-de-France travaillent déjà 4 dimanches par an.
Autre nouveauté de l’accord : le remboursement des frais de garde pour le salarié parent d’un enfant de moins de 12 ans. Le texte prévoit qu’ils touchent un ticket Cesu de 100 euros par dimanche travaillé, financé à 60% par l’employeur. Un point important pour la CFTC, qui a obtenu le paiement à 100% du Cesu quand les deux parents sont salariés Fnac ou quand le parent est isolé. «Les opposants à l’accord ne considèrent pas la demande sociale pour l’ouverture dominicale. Souvent, les volontaires pour travailler le dimanche sont plus nombreux que le nombre de postes ouverts. Beaucoup de salariés ont besoin du travail dominical, pour boucler les fins de mois, en raison du faible niveau des rémunérations», souligne Bruno Marc, délégué syndical central de la CFTC, signataire après que ses adhérents se soient prononcés à 70% en sa faveur.
Dogmatisme contre lobbying
La direction de la Fnac ne se prive pas de dénoncer une « position dogmatique de certaines centrales opposées dès le départ à la loi Macron et au principe du travail dominical, sans en laisser le choix aux salariés ». Mais le groupe dirigé par Alexandre Bompard s’est lui-même illustré par un lobbying forcené pendant l’élaboration du projet de loi Macron. Jusqu’à réussir à faire adopter, par amendement au Sénat, une disposition affirmant que «les commerces de détail de biens culturels peuvent déroger à la règle du repos dominical»... Elle a été finalement retoquée par l’Assemblée nationale. L’enseigne culturelle a aussi bien tiré son épingle du jeu, lors de la désignation des zones touristiques internationales (ZTI). A Paris surtout, où les établissements Fnac se retrouvent dans toutes les zones retenues sans être des destinations touristiques flagrantes (forum des Halles, centres commerciaux Italie 2 ou Beaugrenelle).
La CGT, FO et SUD ne se privent de le rappeler dans leur droit d’opposition, formulé dans des termes quasi-identiques par les trois organisations. Elles y expliquent leur véto par la volonté de «préserver les intérêts des salariés», la santé de ceux-ci - que l’extension des horaires atypiques et décalés menace - et leur vie privée et citoyenne. Mais il n’est pas question, non plus, de participer à «la remise en cause du seul jour de repos commun et à l’extension possible des horaires de travail jusqu’à minuit», qualifiés de «recul social majeur», ni de contribuer à leur banalisation.
«Nous fêtons en 2016 le 110e anniversaire de la loi sur le repos dominical. Un droit dont les salariés du commerce se voient de plus en plus privés, alors qu’il n’y a aucune utilité d’ordre public ni raison économique à ouvrir les magasins le dimanche», commente Christophe Le Comte, secrétaire de la fédération du commerce FO (centrale la plus opposée au travail dominical). Pour lui, «aucun accord, aussi mieux-disant soit-il, ne justifie d’entériner un recul des droits des salariés».
Renversement syndical
«Nous ne sommes pas que dans une opposition de principe», plaide Boris Lacharme, DSC CGT de la Fnac à Paris et première syndicat, pour qui «l’accord n’offre pas les contreparties nécessaires en matière d’emploi». La garantie que les nouveaux établissements ouvrant plus de 12 dimanches par an puissent embaucher, en CDI, l’équivalent de 2,6% des effectifs «équivalents temps complets» est jugée «nettement insuffisante». «La pérennité de ces emplois n’est pas assurée, en raison du turn-over et des plans sociaux officieux, via des licenciements pour faute grave ou des départs négociés», argue-t-il. Selon lui, les effectifs nets du groupe, en 2014 et en 2015, ont diminué de 6 à 7% chaque année.
Chose certaine, le dossier n’est pas clos. Car l’absorption (en cours) de Darty par la Fnac va rebattre la carte des syndicats. Dans le nouvel ensemble, les organisations minoritaires vont devenir majoritaires, et vice-versa. De quoi assurer la validité de cet accord sur le travail dominical et en soirée, s’il est reproposé en négociations. D’ores et déjà, la CFDT et la CFTC y sont favorables.