E&C Vous avez mené une enquête sur l’usage de la messagerie électronique par les cadres au sein d’une collectivité territoriale. Qu’avez-vous constaté ?
François de Corbière : Globalement, toute la communication importante passe par la messagerie. Les cadres la mobilisent fortement pour gérer l’activité courante. Ils y passent en moyenne deux heures et quart par jour. Les autres vecteurs de communication – discussions informelles, réunions, téléphone… – n’ont pas été remplacés, mais la messagerie est celui qui les complète et qui prend une place de plus en plus importante. Elle est devenue un support de discussion, elle permet de préparer la prise de décisions avant une réunion, etc.
On distingue deux profils types : les cadres qui estiment que l’outil préempte sur le “vrai” travail et ceux qui considèrent le mail comme l’outil principal de gestion de leur activité. Entre ces deux profils, beaucoup jugent la messagerie très pratique, mais regrettent la place qu’elle a prise. L’usage crée l’usage et l’engrenage favorise son usage intensif. Par ailleurs, ils ont souvent le sentiment de se laisser déborder par l’outil et dénoncent une surcharge d’informations et une activité chronophage.
Sophie Bretesché :Le mail a tendance à prendre toute la place et à s’emparer des autres moyens de communication. Assimilée par l’un des interviewés à une “gare d’aiguillage”, la messagerie requiert de qualifier la nature du message et d’envoyer une réponse dans les bons canaux et selon la temporalité adaptée. Le cadre devient un opérateur des temps modernes, spécialisé dans le traitement de l’information en temps réel. Le management de l’information se substitue au management physique.
S. B. : La messagerie donne une impression d’autonomie accrue car, d’un côté, elle permet aux cadres de s’affranchir du face-à-face et du temps de travail, mais de l’autre, elle recrée une très forte dépendance au temps instantané. Ceci induit une mise sous pression permanente et une logique d’urgence. Ce processus temporel créé par l’outil informatique agit comme un métronome qui séquence le travail et en constitue le principal régulateur.
Il en découle une pratique professionnelle caractérisée par la réactivité et l’engagement continu dans le flux d’informations reçues. L’analyse des pratiques de travail montre que l’autonomie des cadres est fragilisée par la dynamique temporelle des événements induite par la messagerie. L’autonomie “réelle”