Licenciements économiques qui n'en sont plus vraiment, pouvoir du juge en matière de fraude réduit : l'article 30 de la loi Travail heurte la jurisprudence actuelle. Décryptage avec Alexandra Soumeire, avocate des ex-Continental.
Voilà une disposition qui risque de bouleverser des années de pratiques jurisprudentielles !
Face à la pression du patronat, le gouvernement a introduit dans le projet de loi El Khomri présenté ce 24 mars en Conseil des ministres une disposition qui assouplit les procédures de licenciement économique.
Selon l'article 30, les difficultés économiques se caractérisent automatiquement par : au moins deux trimestres consécutifs de baisse des commandes ou du chiffre d’affaires ; au moins un trimestre de perte d’exploitation ; une importante dégradation de la trésorerie ; des mutations technologiques ; une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité ; la cessation d’activité de l’entreprise.
Variations économiques
Le Diable se nichant dans les détails, ce sont surtout les deux premières définitions qui posent question tant la durée posée par le texte est ramassée, et les critères financiers retenus sujet à caution. « Les variations d’indices économiques sont la base même d’une économie de marché. La cour de cassation a ainsi toujours refusé de retenir des motifs conjoncturels qui plus est de courte durée. Le projet de loi estime donc que le simple fonctionnement du marché est caractéristique de difficultés économiques !» s’étonne Alexandra Soumeire, avocate en droit du travail.
Contraire à l'OIT ?
Ainsi, selon un arrêt de la plus haute Cour du 6 juillet 1999, la baisse du chiffre d’affaires et des bénéfices sur une année n’est pas de nature à justifier un licenciement économique. De son côté, le Conseil d’Etat a considéré, le 28 février 1999, que la seule chute temporaire des ventes ou la surcapacité de production liées à la crise ne pouvait établir des difficultés économiques. « Une entreprise peut toujours réaliser des bénéfices, voire percevoir des marges importantes, malgré une baisse de son activité qui peut être due à la conjoncture ou même à un changement de stratégie, nuance l’avocate. Un ménage qui a des soucis de trésorerie durant deux mois ne passe pas directement en surendettement ! Le gouvernement est en train de définir des difficultés économiques qui n’en sont pas et de vider cette notion et la jurisprudence de tout son sens. »
Pour cette spécialiste, ces nouveaux critères seraient même contraires à la convention 158 de l’Organisation internationale du travail qui exige un motif légitime aux suppressions d’emplois. « Une perte de chiffre d’affaires ne peut l’être si par ailleurs les marges progressent », souligne celle qui avait réussi à prouver l’absence de motif économique à la fermeture de l’usine Continental de Clairoix (Oise).
Pouvoir accru du juge ?
Pour « compenser » ces concessions faites au Medef et à l’Afep, la rue de Grenelle met en avant un pouvoir accru des juges pour établir l’existence d’une fraude ou d’un abus de droit de la part d’un employeur. En réalité, il existait déjà. Mais le gouvernement en réduit considérablement la portée, contrairement à ce qu’il affirme. Concrètement, selon le projet de loi El Khomri, « ne peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif économique les difficultés économiques créées artificiellement à la seule fin de procéder à des suppressions d’emplois ». Les termes « à la seule fin » ont été ajoutés à la demande du Conseil d’Etat qui entendait préserver le pouvoir de décision des entreprises. « Cette disposition se fonde sur un motif d’intérêt général tenant à la préservation de l’emploi sur le territoire national, sans pour autant porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre », écrit le Conseil dans son avis du 17 mars.
Intention unique
En clair, pour établir une fraude, les Sages exigent une intention exclusive de la part de l’entreprise qui a organisé fictivement ses difficultés pour pouvoir procéder à un plan social. La seule volonté de le faire ne suffira plus. Elle devra être clairement caractérisée. « Cet article est un artifice, commente Alexandra Soumeire, car comment prouver une intention unique ? La fraude peut recouvrir plusieurs objectifs. Si l’employeur a manipulé ses comptes pour ne pas payer d’impôt en France, il n’y a donc pas d’infraction ? »
Après la bataille parlementaire, ce texte ne manquera pas d’agiter les tribunaux… Alors même que le gouvernement avait cherché à réduire la conflictualité autour des PSE via la loi de modernisation sociale.