Parmi les nombreux arrêts sociaux rendus par la Cour de cassation en 2015, certains méritent une attention particulière. Petit florilège des décisions phares, concocté par trois avocats spécialisés en droit du travail.
Que retenez-vous de la jurisprudence sociale de l'année 2015 ? Voilà la question que nous avons posée à trois avocats. Deux "employeurs", Emmanuelle Barbara (August & Debouzy) et Patrick Thiébart (Jeantet & associés), et une "travailliste", Béatrice Bursztein (LBBa). Petite sélection de textes marquants, parmi les très nombreux arrêts sociaux rendus par la Cour de cassation l'an dernier.
Avantages catégoriels :
Cass. Soc. 27 janvier 2015, n°13-22179
Cette décision vient délivrer un quasi blanc-seing à l’accord collectif en matière d'avantages catégoriels. Désormais, "les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs (…) sont présumées justifiées…" La cour se fonde sur "la bonne foi qui caractérise a priori la conclusion d’un accord collectif, lequel présume qu’il n’existe pas d’inégalité de traitement, sauf à démontrer des considérations étrangères à celles de nature professionnelle", explique Emmanuelle Barbara, du cabinet August & Debouzy.
Il s’agit là, selon l’avocate, d’une "rectification d’outrance éventuelle"."La chambre sociale a finalement cédé aux charmes de la voie conventionnelle", abonde Béatrice Bursztein, du cabinet LBBa. Le retournement est majeur mais sa portée encore indécise.
Rupture conventionnelle
Cass, Soc. 8 juillet 2015, n°14-10139
La rupture conventionnelle rencontre un véritable succès avec plus de 350 000 ruptures homologuées en 2015. Pour Patrick Thiébart, du cabinet Jeantet, « la Cour de cassation y est pour beaucoup car sa jurisprudence est assez libérale en la matière ». Elle a en effet rejeté plusieurs demandes d’annulation fondées sur un défaut d’information du salarié, la possibilité de se faire assister, etc.
Et elle continue. Dans cet arrêt du 8 juillet 2015, la Cour affirme qu’une convention de rupture qui prévoit une indemnité dont le montant est inférieure à celui de l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ne suffit pas à la rendre nulle. "Les faits soumis à la Cour ne souffraient d’aucune ambiguïté, prévient Patrick Thiébart. L’employeur comme le salarié reconnaissaient que l’indemnité conventionnelle de rupture avait été calculée sans prendre en compte diverses primes. On aurait pu s’attendre à ce que la Cour fasse preuve de rigueur à l’égard de l’employeur et annule la convention". Conclusion : « la Cour de cassation est pour le moins audacieuse puisqu’elle introduit de la flexibilité dans la mise en œuvre de la convention de rupture conventionnelle, alors que le législateur n’avait rien prévu.
Même étonnement chez Béatrice Bursztein (cabinet LBBa) qui explique que la Cour a agit en redresseur de torts. Cette dernière écarte la nullité et "régularise" la rupture en imposant à l’employeur de payer le "complément". "Pourtant, le montant de l’indemnité est une condition de la convention. Si cette irrégularité avait été constatée par la Direccte, n’aurait-elle pas refusé d’homologuer la convention ? L’absence de sanction risque de conduire les employeurs à abuser d’un dispositif déjà largement détourné de son objet", poursuit-elle.
Sécurité au travail
Cass. Soc. 25 novembre 2015, n°14-24444
L’arrêt amiante du 28 février 2002 avait bouleversé l’appréhension des obligations de l’employeur en matière de santé et de sécurité. "Il érigeait l'obligation de sécurité en une obligation de résultat. La Cour de cassation semble signer ici l’arrêt de mort de cette jurisprudence. Elle affirme que l’employeur n’est pas responsable de l’altération de la santé, dès lors qu’il a pris toutes les mesures nécessaires. L’obligation de résultat a laissé la place à une obligation de moyens renforcés", commente Béatrice Bursztein, du cabinet LBBa.
Pour Emmanuelle Barbara, il s'agit même de l’arrêt le plus marquant de l'année 2015. "Un début de revirement sur l’obligation de sécurité de résultat, au profit d’une obligation appréciée à l’aune de l’obligation de prévention. Et non de la survenance de l’incident", affirme-t-elle.
Autres accords relevés par Emmanuelle Barbara :
Cass. Soc. 3 mars 2015, n°13-26175 : il s’agit de la restriction du préjudice d’anxiété en faveur des seuls salariés d’un établissement bénéficiant de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante. Leurs collègues, exposés occasionnellement dans des établissements ne figurant pas à la liste de l’art. 41 de la loi du 23 décembre 1998, ne peuvent pas faire état d’un préjudice certain.
Cass. Soc. 10 juin 2015, n°14.10031 : sur le PSE volontaire d’une entreprise qui ne dispose pas de 50 salariés à la date de mise en œuvre d’un licenciement collectif pour motif économique. Le PSE ne relève donc pas des art. L 1233-61 et L 1233-62 du code du travail. Cet arrêt « illustre un sorte de mansuétude des juges pour les PME inférieures à 50 salariés qui s’aventureraient sur le terrain complexe de l’application volontaire d’un dispositif qui n’est pas fait pour elles », estime l’avocate. Dans les arrêts qu’elle a relevé, Emmanuelle Barbara voit la preuve du pouvoir créateur des juges dans l’interprétation d’une norme. « Au moment où l’on s’apprête à réécrire le code du travail, conclut-elle, tout l’enjeu consiste à savoir si l’on veut que ces règles nouvellement dégagées fassent ou non partie d’un ordre public ou de thèmes de négociations. »
Autre arrêts marquants :
Cass. Soc. 27 mai 2015, n°14-11.688 : cet arrêt porte sur l’ordre des licenciements. Plus exactement sur le périmètre d’application qui, avec les critères d’ordre, permet de désigner les salariés concernés. "L’arrêt met l’accent sur les caractéristiques propres de la qualification des salariés et exige de l’employeur qu’il puisse justifier d’une réelle action visant à réorienter l’emploi du salarié. En définitive, il renforce l’objectivité de la définition des catégories professionnelles », estime Béatrice Bursztein (LBBa).
Cass. Com. 10 Février 2015, n°13-14779 : la Cour de cassation indique que les SMS « envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel». Leur production en justice est donc recevable. "La chambre commerciale transpose aux SMS la jurisprudence de la chambre sociale en matière de consultation de la messagerie électronique professionnelle", analyse Patrick Thiébart (Jeantet).
Cass. Soc. 3 juin 2015, n°14-13909 : un salarié qui réclamait la requalification en CDI de ses 233 CDD a été débouté par la Cour de cassation. « La Cour a relevé que les missions d’intérim étaient autonomes et espacées dans le temps et qu’elles ne répondaient pas à un besoin structurel de main-d’œuvre", décrypte Patrick Thiébart.