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Le projet de loi Macron bouscule la jurisprudence

Liaisons Sociales Magazine | Condition de travail | publié le : 17.12.2014 | Eric Béal

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Les propositions de modification du Code du travail, portées par le projet de loi Macron, ont des conséquences très concrètes en matière de droit du licenciement. Analyse par maîtres Déborah David, Evelyn Bledniak et Marie-Laure Dufresne-Castets.

Adopté en Conseil des ministres le 10 décembre, le projet de loi Macron "pour la croissance et l'activité" modifie les règles sur les licenciements collectifs issues de la loi du 14 juin 2013. Dans le sens d'une sécurisation juridique pour les entreprises. Tour de la question en quatre propositions particulièrement significatives, commentées par trois avocats du travail.

1/ Fixation de l'ordre des licenciements. Les entreprises soumises à l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) pourront fixer - dans un accord collectif ou bien dans un document unilatéral - le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements à un niveau inférieur à celui de l'entreprise.

"Les quatre critères d'ordre que l'on connait, à savoir : la charge de famille, l'ancienneté, la situation personnelle rendant la réinsertion professionnelle plus difficile, et les qualités professionnelles, ne seront pas modifiés", souligne Déborah David, du cabinet Jeantet et Associés, conseil de Continental et de Mory Global. "C'est le périmètre d'application de ces critères qui change. Depuis une vingtaine d'années, la Cour de cassation considère que leur application doit être effectuée au niveau de l'entreprise toute entière. Même si un seul de ses sites est fermé. La Cour fonde son raisonnement sur l'article 1233 - 5 du Code du travail, qui fait état des quatre critères légaux sans jamais faire référence au périmètre d'application de tels critères. Depuis la loi de sécurisation de l'emploi, le législateur revient sur cette jurisprudence en permettant à l'employeur de déterminer un périmètre d'application plus approprié à la situation."

La jurisprudence de la Cour de cassation aboutissait à une situation absurde selon l'avocate, qui explique "lorsqu'un site à Marseille doit fermer, mais que par application des critères d'ordre, c'est un salarié de Lille qui doit être licencié, on peut aboutir à deux licenciements au lieu d'un : le salarié lillois, parce que les critères l'ont désigné et le salarié marseillais car il n'accepte pas le poste laissé vacant à Lille." Seule possibilité dérogatoire, une négociation avec les partenaires sociaux. "La jurisprudence admet que l'opération peut être limitée au site considéré, à condition qu'une majorité de syndicats signent un accord social. Comme à Continental Clairoix. Mais il peut être difficile d'obtenir un tel accord, même favorable pour les salariés, lorsque le dialogue social est bloqué", précise l'associée du cabinet Jeantet.

Pour Evelyn Bledniak, avocate pro salariés, le projet de loi Macron est dangereux car "les entreprises auront tendance à licencier ceux dont elles ne veulent plus au plus faible coût. Selon elle, l'interprétation de la Cour de cassation permettait de préserver l'emploi. "L'obligation pour l'employeur de rechercher un accord social avec les syndicats représentatifs s'il souhaite circonscrire son PSE à un établissement, permet à ceux-ci d'obtenir des contreparties : un accompagnement à la recherche d'emploi, des indemnités complémentaires, etc."

2/ Défaut de motivation constaté par le tribunal administratif, à l'encontre de la décision d'homologation d'un PSE par la DIRECCTE (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi). Dans ce cas, le projet de loi précise que les entreprises n'auront plus l'obligation de réintégrer les salariés licenciés ou de les indemniser.

"C'est une simple mesure de justice, estime Déborah David, car l'annulation ne dépendait pas de l'entreprise qui en subissait pourtant les conséquences." Pour Marie-Laure Dufresne-Castets, défenseur des salariés de Renault, PSA et Continental, "on échange la sécurité juridique des employeurs par l'insécurité des salariés. Cela voudra dire qu'une entreprise peut proposer un plan inacceptable du point de vue du droit et espérer que cela passe tout de même. C'est aussi faire peu de cas du contrôle des services de l'Etat."

3/ Caractère proportionné des mesures du PSE. Il s'agit de savoir si les salariés d'une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, pouvaient compter sur leur maison mère pour financer le plan de sauvegarde de l'emploi. Le projet de loi Macron limite les moyens à consacrer au PSE à ceux de la filiale.

"L'administration judiciaire n'aura plus les moyens de faire pression sur la maison mère. Sous couvert de mesurettes pour libérer l'entreprise, on détricote le Code du travail, estime Marie-Laure Dufresne-Castets. Cela va avoir des conséquences inacceptables. J'ai déjà vu un grand groupe créer une filiale, puis y transférer les salariés dont il voulait se séparer. Et enfin affaiblir cette entreprise petit à petit pour aboutir à une fermeture sans moyen. C'est l'exemple type de licenciements pour augmenter les profits et pas pour sauvegarder la compétitivité."

4/ Recherche de reclassements internes. Le projet de loi limite cette recherche aux établissements situés en France.

"Auparavant, un groupe devait proposer tous les postes disponibles à l'étranger, sans en oublier un seul, même si les salariés n'étaient pas vraiment intéressés par une mobilité aussi éloignée, au risque de se voir condamner par le Conseil des prud'hommes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse", indique Déborah David. Si le projet de loi passe en l'état, le salarié qui est intéressé par un éventuel poste à l'étranger devra en faire la demande à la direction.

"Il est vrai que ces propositions n'étaient en général par sérieuse, admet Marie-Laure Dufresne-Castets. De plus, elles avaient comme conséquence de révolter les salariés. Mais il est inquiétant de constater ce glissement progressif vers une responsabilité partagée de l'employeur et du salarié. C'est un mouvement général qui se constate aussi bien sur les licenciements - les plans de départs soi-disant volontaires se multiplient - que sur les questions de santé et sécurité au travail. Alors que la responsabilité de l'employeur était totale, on assiste à un transfert de celui qui détient le pouvoir, vers celui qui n'en a pas. C'est à dire le salarié."

Auteur

  • Eric Béal

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