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« L’absence de contrepartie est le premier risque du forfait jours dans les TPE »

Liaisons Sociales Magazine | Condition de travail | publié le : 08.02.2016 | Eric Béal

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D.R.

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Le gouvernement envisage de faciliter l'utilisation des forfaits jours dans les TPE, en dérogeant à l'obligation d'un accord collectif préalable. Réaction d’Alexia Alart Mantione, juriste en droit social du réseau Exco.  

Faut-il faciliter l’utilisation du forfait jours dans les TPE et PME ?

Je ne crois pas que le gouvernement ait l’intention d’élargir la convention annuelle en jours à tous les salariés. Son objectif est plutôt de permettre l’utilisation de ce dispositif pour les mêmes populations que dans les grandes entreprises : les cadres et non cadres dont la durée du travail ne peut être déterminée. Sur la seule base du volontariat.

Dans quelles conditions le forfait annuel en jours est-il utilisé aujourd’hui ?

Il existe des forfaits de différentes natures. Les forfaits hebdomadaires et mensuels en heures nécessitent simplement un accord entre le salarié et son employeur pour respecter la loi. Ils peuvent concerner tous les salariés. À l’inverse, le forfait annuel – en heures ou en jours - nécessite un accord au niveau de la branche – donc un encadrement par la convention collective – ou bien un accord d’entreprise majoritaire. Mais même dans ce cas, le salarié doit signer une convention de forfait individuelle précisant son niveau de salaire et les compensations prévues.

Quels sont les risques potentiels de ce futur dispositif dérogatoire ?

Compte tenu du contexte économique et de l’importance du chômage, le risque premier est l’absence de contrepartie raisonnable. Notamment pour compenser les heures supplémentaires qu’entraine la signature d’une convention. Le gouvernement a indiqué qu’il légiférerait sur ce point. Sans doute pour harmoniser sa proposition avec les récentes décisions de la Cour de Cassation, qui a condamné certains accords de branche – dont celui de l’expertise-comptable - au motif que les contreparties pour les salariés au forfait jours n’étaient pas suffisantes. La branche a depuis revisité son dispositif par voie d’avenant.

À qui s'adresse aujourd'hui le forfait annuel ?

Il est né avec les lois Aubry en 2000 et concernait uniquement les cadres au début. Il a été élargi en 2005 aux non cadres disposant d’une réelle autonomie, et pour lesquels il est difficile de comptabiliser les heures de travail, comme par exemple les commerciaux itinérants. La moitié des cadres sont au forfait annuel en jours. Il s’agit surtout de ceux qui travaillent dans les grandes entreprises.

Le forfait annuel est-il bien encadré par la législation ?

La législation renvoie jusqu’à présent aux accords collectifs, et la Cour de Cassation exige que ces accords garantissent outre le respect des durées maximales de travail et des repos journaliers et hebdomadaires, une amplitude et une charge de travail qui restent raisonnables, afin de garantir la santé et la sécurité des intéressés. Dans les faits, le forfait jours conduit bien souvent à un débordement de la durée du travail. Les prud’hommes reçoivent régulièrement des plaintes de salariés qui réclament l’invalidation de leur forfait parce que sa durée n’est pas respectée. Les 218 jours de travail par an retenus par les lois Aubry se gonflent avec du travail le soir à la maison, pendant les jours fériés, les week-ends ou une partie des vacances. Le travail déborde sur la vie personnelle, ce qui engendre bien souvent de grosses difficultés.

Comment sécuriser une convention individuelle de forfait jours dans une petite entreprise, sans porter le flanc à une accusation de vouloir déroger aux 35 heures ?

Le chef d’entreprise se doit d’être prudent. Il doit restreindre cette mesure aux salariés pour lesquels il est vraiment légitime d’y recourir. En particulier, il est souhaitable d’éviter d’user du dispositif pour des non cadres sans réelle autonomie. Sinon, le risque d’être retoqué aux Prud’hommes est important. Il faut également sécuriser la convention sur les points incontournables. Comme le niveau de salaire, la charge de travail ou le respect de l’équilibre vie pro/vie perso, qui doit faire l'objet d'une discussion lors de l’entretien annuel afin de faire ressortir les difficultés rencontrées. Mais il n’y a pas beaucoup de TPE qui pratiquent l’entretien annuel…

Auteur

  • Eric Béal

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