La Direction générale du travail met la dernière main à un "guide pratique du fait religieux dans les entreprises privées". À l'heure où la loi travail introduit une nouvelle ambiguïté autour du principe de neutralité qui peut être inscrit au règlement intérieur.
Il est attendu avec impatience ! Le 20 octobre, le ministère du Travail doit livrer un "guide pratique du fait religieux dans les entreprises privées". Annoncé par Clotilde Valter, secrétaire d’État à la formation et à l’apprentissage à l’occasion des Entretiens de la cohésion sociale coorganisés par l’institut Montaigne, August & Debouzy et Entreprise & Personnel, ce guide entend aider les employeurs, les représentants syndicaux, les salariés et les candidats à l'embauche à mieux comprendre des notions aussi complexes que la laïcité, la neutralité, le principe de non-discrimination et les différences de traitement admises.
Rédigé par la Direction générale du travail, ce document d’une trentaine de pages a fait l’objet d’échanges avec les organisations syndicales et patronales. Après avoir rappelé brièvement les grands principes et textes, il se présente sous la forme d’une quarantaine de questions-réponses très précises, à destination à la fois des employeurs et des salariés.
Une initiative bienvenue. Car depuis la publication de la loi travail, le 8 août, les DRH ne savent plus à quel saint se vouer. L’article L 1321-2-1 de la loi stipule en effet que « le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ».
Clarifier les droits et devoirs
Une rédaction ambiguë et floue qui avait été relevée avant l’adoption de la loi par Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité. Un organisme qui a lui-même publié un guide à destination des employeurs privés. En effet, si le principe de neutralité au travail – c’est-à-dire l’absence de manifestation religieuse – s’impose aux employeurs du public, il n’en est rien dans les entreprises privées. Ces dernières se doivent ainsi de respecter la liberté de leurs salariés d'afficher leurs croyances dans la mesure où cela ne constitue pas un trouble objectif à la bonne marche de l’entreprise. Sauf si les entreprises gèrent un service public. Lesurs salariés sont alors soumis aux mêmes règles que les agents de l'Etat
Pour les tenants d’une introduction de la laïcité dans le champ de l'entreprise privée, cet article est perçu comme un signal positif. Particulièrement au sein du groupe de recyclage Paprec qui, depuis 2013, s’est doté d’une charte de la laïcité imposant à ses salariés « un devoir de neutralité ». Une charte illicite en l’état actuel du droit.
Sans attendre le guide du ministère du Travail, d’autres entreprises, comme EDF, Air France ou encore La Poste, se sont dotées de guides internes pour aider leurs troupes à bien clarifier les droits et devoirs de chacun en matière de fait religieux. « Nous disposions déjà d’un guide réalisé en 2010, explique Luis Molina, directeur compétences et performances sociétales du groupe EDF. Mais depuis l’attentat contre Charlie Hebdo, la direction ressent une pression et une attente très forte du collectif de travail qui demande à renforcer la laïcité dans l’entreprise. »
Former les managers
Entre novembre 2015 et juillet 2016, EDF a donc planché sur un nouveau guide pour accompagner les managers dans la gestion du fait religieux. Au sein du groupe, si la filiale Enedis (ex-ERDF) suit les principes qui régissent le service public, EDF SA est calé sur ceux des entreprises privées. Le guide rédigé par l'électricien part de situations concrètes que peuvent rencontrer les managers et apporte des solutions clef en main.
Un guide très proche dans sa forme de celui de la DGT. « Par exemple, nous rappelons que le fait de ne pas saluer un collègue peut-être perçu comme une forme de harcèlement et lorsqu'il s'agit d'une femme, comme une pratique sexiste qui n’est pas tolérée au travail, détaille Luis Molina. Sur le port du voile, nous rappelons que celui-ci est autorisé dans une entreprise privée et qu’il n’est pas assimilable à un acte de prosélytisme. »
Pour peaufiner cet outil, EDF a travaillé avec l’EHESS et l’Association française du droit du travail (AFDT). Cette dernière a d’ailleurs mis en ligne une synthèse de ses travaux sur le fait religieux en entreprise. L’électricien va maintenant déployer ce guide auprès des managers et les former. Ce qu'approuve Laurence de Ré-Vannière, membre du comité de direction d’Entreprise et Personnel. « Le rôle de l’entreprise est de donner une ligne directrice aux managers. Mais lorsqu'on aborde la question du fait religieux, on touche à des sujets d’altérité. Le vivre ensemble ne se décrète pas », explique-t-elle.
Reste qu'un guide ou un livret ne suffit pas, aussi bien conçu soit-il. Les employeurs doivent aussi mettre en place des actions auprès des salariés. « Lorsqu’une entreprise décide de communiquer directement auprès de ses collaborateurs, elle légitime aussi les managers chargés de faire respecter les règles de l’entreprise », souligne Laurence de Ré-Vannière. Ces actions produiront-elles les effets attendus sur le terrain ? Impossible d'y répondre pour l'instant, de tels dispositifs ne pouvant se mesurer que dans le temps longs.