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L’ Autre Code du travail prend de l’ampleur

Liaisons Sociales Magazine | Condition de travail | publié le : 19.07.2016 | Eric Béal

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Les professeurs en droit qui ambitionnent de simplifier le Code du travail ont présenté trois nouveaux chapitres. Parmi les mesures les plus emblématiques: une unification des contrats de travail et une redéfinition des obligations de l’employeur en matière de santé au travail.   

La simplification du Code du travail est indispensable mais elle ne va pas de pair "avec un affaissement des droits des salariés". C’est la conviction d’un certain nombre de professeurs en droit rassemblés au sein du groupe de recherche pour un autre Code du travail (GR-PACT) depuis le début de l’année. Un état d’esprit partagé par un nombre croissant d’universitaires. L'atteste la hausse du nombre de contributeurs : les participants du GP-PACT, qui étaient 17 en mars dernier, lors de la présentation du chapitre consacré au temps de travail, sont passés à 21, début juillet. 

Les auteurs, qui se défendent de tout engagement politique, n’ont pas de mots assez durs pour critiquer le travail de simplification du code par les services du ministère du Travail. « Ils nous ont fait un texte dont le volume est augmenté de 25%. Ce n’est pas une réécriture, c’est une juxtaposition de textes engendrée par l'intervention de nombreux lobbies patronaux. Si cette méthode perdure, la réforme du Code du travail aboutira à un cauchemar de complexité », estime Emmanuel Dockès, professeur à l’université Paris Ouest – Nanterre.

Les trois nouveaux chapitres présentés abordent le contrat de travail, la santé au travail et l’inspection du travail. Point commun : la volonté de maintenir, voire d’accroître les droits des salariés. « L’affaissement des droit des salariés n’est pas une fatalité », justifie l’animateur du GR-PACT. « Pour autant, ce mouvement est continu depuis vingt ans et l’on s’éloigne de plus en plus des droits fondamentaux portés par la Charte sociale européenne et l’Organisation internationale du travail (OIT). »

Le salariat étendu aux travailleurs dépendants

La réécriture du chapitre consacré au contrat de travail conduit le groupe à en redéfinir les contours. « Actuellement, le critère central du contrat de travail est la subordination. Cette définition est devenue insuffisante », explique Julien Icard, professeur à l’université de Valencienne. « Le développement du télétravail, l’organisation du travail par l’intermédiaire de plateformes informatiques ou encore la décentralisation de certaines structures productives engendrent l’essor d’un travail relativement autonome mais qui reste exécuté dans une situation de dépendance. C'est le cas pour les chauffeurs d’Uber, les personnes qui exercent une activité au travers d’une plateforme de jobbing ou encore les freelancers qui travaillent pour plusieurs donneurs d’ordre. »

En accordant quelques protections spécifiques à ces travailleurs, la loi El Khomri reconnaît leur situation précaire, sans leur octroyer tous les droits des salariés. Les professeurs du GT-PACT préfèrent « élargir la notion de salarié aux travailleurs dépendants, même s’ils ne sont pas subordonnés dans l’exécution de leur tâche. »

Unification des contrats de travail

Pour combattre le travail précaire, les universitaires suppriment le contrat de travail à durée déterminée (CDD). Notant que depuis les années 2000, la part des salariés précaires est montée à 12% de l’emploi total environ, ils dénoncent l’utilisation des CDD par les employeurs comme une forme de période d’essai sur des emplois stables, correspondant à une activité normale et permanente de l’entreprise. Egalement supprimés, les CDD d’usage et saisonniers. Ne subsiste que la possibilité de recruter pour un surplus de travail (6 mois maximum) ou un remplacement temporaire (18 mois maximum) mais dans le cadre d'un CDI élargi. « Il s’agit d’appliquer aux CDD actuels certaines des protections du droit du licenciement, sans rien retrancher de la stabilité des CDI », précise Emmanuel Dockès.

C’est la clause dite « de durée initiale » qui permet à l’employeur et au salarié de convenir que leur relation n’est pas pérenne. La différence avec un CDD ? Il ne s’agit pas d’une clause de terme. Lorsque la durée initiale s’achève, le contrat n’est pas automatiquement rompu et l’employeur doit prononcer un licenciement pour se séparer de son salarié. Une subtilité qui donne droit à une prime, à des indemnités et surtout à la possibilité pour le salarié de contester son licenciement devant les prud’hommes… Autre avantage aux yeux des membres du GR-PACT : le texte, plus simple, n’empêche nullement les entreprises de s’adapter aux fluctuations de leur activité.

Finie l'obligation de résultat en santé au travail

En revanche, le chapitre 5 sur la santé au travail peut donner l’impression d’une régression de la protection des travailleurs. En effet, ces dernières années, la jurisprudence a imposé la notion d’obligation de résultat en matière de protection des travailleurs. Autrement dit, l’employeur est toujours fautif en cas d’accident, même s’il est de bonne foi et a pris toutes les mesures pour protéger ses salariés. "Cette évolution jurisprudentielle est un artifice », estime Dirk Baugard (Paris 8). « Elle se justifie par la volonté du juge d’assurer une indemnisation aux victimes. Il est plus sain et convenable de dire les choses clairement. »

C’est pourquoi les rédacteurs de ce Code du travail alternatif préfèrent imposer une obligation de sécurité à l’employeur. Celui-ci devra mettre en place toutes les protections individuelles et collectives pour ses salariés sur le site de production mais également s’assurer convenablement, pour leur garantir une indemnisation en cas d’accident de travail. « L’objectif est d’inciter les employeurs à améliorer la sécurité des travailleurs en entreprise. Aujourd’hui, certains d’entre eux se disent qu’il ne sert à rien de se casser la tête, puisque, de toute façon, ils sont jugés coupables en cas d’accident », précise le professeur de Paris 8.

Des inspecteurs du travail renforcés

De façon surprenante, les membres du GR-PACT reprennent une mesure de la loi El Khomri : la suppression de la visite médicale d’embauche, « de moins en moins respectée » disent-ils. Mais ils la remplacent par une réunion rassemblant les nouveaux embauchés et le personnel médical, pour une présentation des droits des salariés. D’autres propositions visent à renforcer les prérogatives des inspecteurs du travail.

Elles suppriment les récentes innovations introduites dans le Code du travail, comme les amendes administratives ou la possibilité pour un employeur d’aller plaider sa cause auprès de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Dirrecte) et d’obtenir une transaction pénale. « Les sanctions administratives tarissent les actions pénales. C’est un dysfonctionnement grave de notre juridiction », estiment les professeurs de droit qui écourteront probablement leurs vacances cet été. Ils ont promis de boucler leurs travaux à l'automne.

Auteur

  • Eric Béal

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