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Difficile de lutter contre le suicide en entreprise

Liaisons sociales magazine | Condition de travail | publié le : 09.09.2016 | Chloé Joudrier

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En 2016, 10 à 11 000 personnes se sont suicidées en France, selon le dernier bilan de l'observatoire national des suicides. Plus de 500 sont liés au travail. La législation reste floue et les solutions de recours quasi inexistantes. Pour les spécialistes, la seule solution pour avancer reste la prévention.  

« Une petite ville disparaît chaque année ». La comparaison de Jean-Claude Delgenes, fondateur et directeur général de Technologia, est lourde de sens. A l’occasion de la Journée mondiale de la prévention du suicide qui a lieu samedi 10 septembre, l’Observatoire national des suicides porté par Technologia - cabinet d’expertise de prévention des risques du travail - rappelle que 10 à 11 000 personnes se sont suicidées en France en 2016. Plus de 500 seraient imputables au travail. Un chiffre « approximatif » et « minimisé », selon les spécialistes, dû au manque d’étude et d’intérêt du sujet.

Suite à l’« Appel des 44 » en 2011 porté notamment par Michel Debout, Bernard Salengro, Boris Cyrulnik et le cabinet Technologia, l’Observatoire national des suicides a été créé pour pousser à la création de "politiques de prévention efficaces". Depuis 5 ans, ces spécialistes observent pourtant un cruel manque de moyens pour investiguer sur le suicide en entreprise. Pourtant, il y aurait de quoi faire. La France affiche en effet un triste record. Avec 16 suicides pour 100 000 habitants, elle arrive en tête des pays européens où la moyenne s'établit à 11 suicides pour 100 000 habitants. Les hommes, les personnes âgées de 45 à 54 ans et les plus de 75 ans sont les plus touchés.

Des lois pas toujours appliquées

S’il n’existe pas d’obligations ciblées pour lutter contre le suicide en tant que tel, la législation prévoit une sécurisation générale de la santé de l’employé. Chaque employeur doit mettre en place des conditions de travail permettant au salarié de vivre son travail sans exposer sa santé. Autre obligation patronale réformée récemment, celle de devoir démontrer la mise en place de moyens pour garantir la santé et la sécurité de son employé. Sauf que « les lois sont appliquées de manière disparate », pointe Jean-Claude Delgenes.

Pour les spécialistes, la solution est donc l’ouverture du débat et de la prévention. « Souvent, on n’en parle pas beaucoup en entreprise car l’intimité n’y a pas de raison d’être », analyse Emmanuelle Lepine, psychologue clinicienne. Mais mettre des mots sur les maux n’est pas chose facile. Pour débloquer une situation, un psychologue ou un spécialiste de la prévention du suicide peut faciliter les choses. « Désormais, ce sont ces professionnels qui vont vers le suicidaire et plus l’inverse », explique Michel Debout, psychiatre et professeur de médecine légale. Pour amorcer le débat avec une personne en danger, préférer des termes comme « Je vous sens mal ! » plutôt que « Comment allez-vous ? », conseille ainsi Emmanuelle Lépine.

Les chefs d’entreprise aussi touchés

Harcèlement moral ou sexuel, épuisement professionnel, dégradation ou précarité de la situation au travail : les situations favorables au suicide sont nombreuses. Un mal qui touche aussi les chefs d’entreprise. « Le dirigeant n’a pas de durée légale du travail, ni de médecine du travail et des droits sociaux réduits. Dès lors, il cumule la position de maître et d’esclave », explique Marc Binnie. Ce greffier au tribunal de commerce de Saintes, membre de l'observatoire national des suicides, est aussi le fondateur d’APESA. Créé en 2015, ce dispositif s’applique à soutenir psychologiquement les chefs d’entreprise dans leurs épreuves entrepreneuriales.

Si le débat s’installe tant bien que mal dans la sphère publique, les dirigeants se sentent de plus en plus concernés. Jean-Claude Delgenes témoigne de cette prise de conscience: « Avec les affaires France Télécom et Renault, la peur de la sur-médiatisation est très présente dans les grands groupes. Un DRH d’une entreprise d’armement est venu me voir car son patron le persécutait. Il avait peur qu’une crise suicidaire éclate chez lui ». Une manière, peut-être, de ne plus concevoir le suicide comme une affaire personnelle.

Auteur

  • Chloé Joudrier

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