Pour avoir dénoncé des irrégularités dans l'accord sur les 35 heures de Tefal, une inspectrice du travail se retrouve ce vendredi 16 octobre en correctionnelle. La direction l'accuse de recel de documents.
C’est une histoire peu banale qui se joue ce vendredi 16 octobre au tribunal correctionnel d’Annecy. Elle met en scène une inspectrice du travail qui s'est intéressée d'un peu trop près à l'accord sur les 35 heures signé dans la plus grosse entreprise du coin ; un DRH qui n’apprécie pas d’être recadré et un directeur départemental du travail très arrangeant avec le patronat local.
L'intéressée, Laura Pfeiffer, est poursuivie par Tefal pour « recel de correspondances électroniques et de données internes » et violation du secret professionnel. Son crime ? Avoir communiqué aux syndicats de l’administration du travail des mails prouvant que la direction du site de Rumilly (Haute-Savoie) avait cherché à entraver sa mission. À la barre également, l’informaticien qui lui avait transmis ces documents.
Indépendance de l'inspection
Tout commence en janvier 2013 quand l’inspectrice découvre des irrégularités dans l’accord sur les 35 heures. Elle demande sa renégociation, contraignant la direction à payer en heures supplémentaires des heures qui ne l’étaient pas initialement. La facture fait frémir le DRH, Dan Abergel. Qui fait donc pression sur le directeur départemental du travail, Philippe Dumont. Trois mois plus tard, ce dernier intime à sa subordonnée de laisser Tefal tranquille, selon les affirmations de la prévenue.
Le Conseil national de l’inspection du travail prend alors sa défense. En juillet 2014, dans un rapport sévère, il regrette les agissements du groupe tout comme l'absence de « condamnation de la part des autorités administratives ou de l’autorité centrale de l’inspection du travail. » Or, la convention 81 de l’Organisation internationale du travail (OIT) garantit l’indépendance de ce corps dédié au respect du code du travail.
Coup de pouce
Arrêtée plusieurs mois, Laura Pfeiffer reçoit un jour un courrier anonyme. À l’intérieur, des échanges de mails entre Philippe Dumont, les services RH de Tefal et l’UIMM de l’Ain établissant une sorte de « coup monté » pour la faire taire. En octobre 2014, Libération révèle le pot aux roses : le directeur du travail aurait voulu, par ce biais, remercier l'entreprise pour avoir pris en stage un jeune qu’il connaît bien…
Le scandale éclate. Loin de faire profil bas, Tefal porte plainte. Une première, après l’affaire Gérard Filoche au cours de laquelle l'inspecteur du travail avait failli être mis en examen pour « chantage » envers un employeur. « La direction s’estime victime d’un viol de documents. Elle pensait pouvoir mettre au pas l’inspectrice sans que cela fasse de vagues mais elle n’a pas su arrêter le battage médiatique », commente Jean-Claude Petit, délégué syndical central de FO sur le site de Rumilly.
PV classé
Contre toute attente, le 14 octobre, le procureur décide de classer un procès-verbal établi par la fonctionnaire pour entrave au fonctionnement du CHSCT. Trois autres ont également été dressés pour travail dissimulé, harcèlement moral, obstacle à ses fonctions. « On est à front renversé ! Elle se retrouve accusée et les coupables sont parties civiles ! s’insurge Ian Dufour, secrétaire national du syndicat CGT des inspecteurs du travail. Comment pourrons-nous faire notre travail à l’avenir si elle est condamnée ? Quand un salarié nous transmet des documents pour établir une discrimination, on ferme les yeux pour ne pas être coupable de recel ? » interroge-t-il.
DRH promu
En soutien à leur collègue, quatre organisations ont appelé à la grève ce vendredi 16 octobre. Soutenues par Bernard Thibault, administrateur du BIT, elles menacent de saisir l’OIT en cas de condamnation. Sur le site, le climat social est tendu.
Le DRH, Dan Abergel, a lui été promu DRH France. Philippe Dumont travaille désormais à l’Institut national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (Intefp). Le lanceur d’alerte ? Il a été licencié pour faute grave après vingt ans de maison. Quant à Laura Pfeiffer, elle a toujours la tête dans ses dossiers. Mais n’a reçu aucun soutien de son ministère de tutelle…