logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

«Aucune branche n'a encore fait homologuer son référentiel pénibilité»

Liaisons Sociales Magazine | Condition de travail | publié le : 13.06.2016 | Anne Fairise

Image

Mandaté par le Premier ministre pour faciliter la mise en œuvre du compte pénibilité, l’ex-DRH de Renault défend l’utilité des référentiels de branche. Une voix qui tranche avec celle du patronat, toujours vent debout contre le dispositif.

À deux semaines de l’entrée en vigueur des six nouveaux critères de pénibilité, les organisations patronales mettent en cause la complexité technique et administrative du dispositif. Et jugent l’échéance du 1er juillet difficile à respecter. Quelle réponse leur faîtes-vous ?

Il est vrai que l’appréciation de quatre facteurs de pénibilité – port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux – est plus technique. Mais les autres critères ne posent pas de problèmes particuliers aux entreprises. Celles-ci savent bien mesurer le bruit ou les températures : elles le font depuis des dizaines d’années. Dès 2014, dans le cadre de mes préconisations, j’avais recommandé aux branches professionnelles de concevoir des « modes d’emploi », pour aider les patrons de PME et de TPE à appliquer le dispositif et notamment ces quatre facteurs plus techniques. La loi de juillet 2015 a consacré juridiquement l’existence de ces « référentiels de branche ».

En quoi le référentiel de branche facilite-t-il la démarche d’évaluation des risques ?

Il fournit une cartographie des situations de travail, des postes et métiers exposés et permet de calculer, sur cette base, le temps d’exposition des salariés à un ou plusieurs critères. Les chefs d’entreprise n’ont qu’à appliquer le référentiel pour identifier les salariés dont les niveaux d’exposition dépassent les seuils de pénibilité réglementaires, après application des mesures de protection collective et individuelle. De surcroît, le référentiel, lorsqu’il a été homologué par les services de l’Etat, sécurise leur déclaration. En cas de contentieux, le juge regarde l’utilisation effective du référentiel. En cas de mauvaise utilisation, la loi prévoit que l’employeur est présumé de bonne foi. Il ne se voit donc pas appliquer de pénalités pour déclaration inexacte ou au titre de la régularisation de cotisation.

L’évaluation de l’exposition aux agents chimiques concentre les critiques, au point que certaines organisations patronales espèrent un assouplissement…

Certaines branches n’ont pas mesuré à quel point l’utilisation d’un référentiel homologué permet de simplifier l’évaluation du risque chimique. D’abord parce que le référentiel permet d’identifier, et donc de limiter, par branche, la liste des produits chimiques à prendre en compte. Ensuite parce qu’il permet d’identifier les mesures de prévention permettant de ne pas déclarer. La qualité de la ventilation, par exemple.

Combien de branches ont déjà fait homologuer leur référentiel « pénibilité » ?

À ma connaissance, aucune n’a encore soumis son référentiel à l’homologation des services de l’Etat. Mais des chantiers sont en cours. Un accord majoritaire a été déposé et étendu, dans le secteur des distributeurs-grossistes en boissons. Une bonne dizaine de branches ont aussi finalisé leur référentiel et d’autres ont largement engagé le travail. Les branches qui ont commencé à élaborer un référentiel ne sont pas majoritaires. Mais si toutes l’achevaient, entre un tiers et la moitié des salariés des PME seraient couverts.

Les difficultés techniques expliquent-elles ce retard ? Ou faut-il y voir une mauvaise volonté du patronat ?

La situation est complexe. Les grandes entreprises et une partie des entreprises de taille moyenne ont choisi d’établir leur propre mode d’emploi plutôt que de s’en remettre à un référentiel de branche. Elles ont mis en place les conditions d’application de leurs obligations en matière de prévention de la pénibilité. Parmi les branches qui s’opposent au dispositif, certaines se sont refusé à élaborer un référentiel mais d’autres ont engagé des travaux techniques. Je pense notamment au bâtiment et aux travaux publics, qui se sont appuyés sur l’OPPBTP, et disposent aujourd’hui d’éléments importants pour un référentiel. Parmi les branches qui n’ont pas pris de position publique, beaucoup ont entamé le chantier. Comme je l’ai indiqué, la branche des distributeurs-grossistes en boissons s’est dotée d’un référentiel, en passant par la voie d’un accord. Ce texte, signé le 2 février, a depuis été étendu et permettra aux 500 entreprises du secteur, des TPE pour l’essentiel, d‘évaluer de manière sécurisée l’exposition de leurs salariés.

Jusqu’à quand les branches peuvent-elles faire homologuer leur référentiel ?

Les chefs d’entreprise devront déclarer début 2017 les salariés qui ont été exposés aux facteurs de pénibilité (dont les six nouveaux) au-delà des seuils. Les référentiels de branche peuvent donc être déposés, pour homologation, jusqu’à la fin du second semestre. Il ne faut cependant pas tarder car il faut plusieurs mois pour élaborer un référentiel. Les branches qui n’auront pas engagé ce chantier avant octobre seront difficilement en mesure de fournir un référentiel homologué à leurs entreprises adhérentes. Ce serait particulièrement dommage de priver les PME d’un outil opérationnel, à la fois de simplification de la démarche d’évaluation des risques et de protection juridique.

 

(1) Les six nouveaux critères sont les manutentions manuelles de charges lourdes, les postures pénibles (position accroupie ou à genoux), les vibrations mécaniques, les agents chimiques dangereux, les températures extrêmes (en dessous de 5°C et au-dessus de 30°C) et le bruit. 

Auteur

  • Anne Fairise

ma pub ici